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nous importe surtout et sollicite nos prévisions scientifiques. Nous restons d’abord déroutés quand nous nous demandons comment un conflit entre les terroristes nationalistes serbes et la dynastie des Habsbourg a pu se transformer en une lutte à mort entre douze nations. Et pourtant quand nous démontons une à une les pièces de l’immense mécanisme des sociétés la lumière se fait dans nos esprits et nous comprenons le grand « problème de la guerre ».

2. Le spectacle des événements actuels apporte certainement du neuf à la sociologie. La guerre agit à l’égard du corps social à l’instar d’un réactif puissant dans un laboratoire. Elle décèle, comme lui, les propriétés de la masse sociale et « met en liberté » les forces qu’elle incorpore. Par cela elle nous permet de mieux comprendre le mécanisme de bien des phénomènes collectifs. La guerre aussi nous révèle la possibilité pratique, insoupçonnée jusqu’ici, de grouper en faisceaux toutes les forces sociales particulières et d’en faire une force totale. On a vu se constituer une volonté collective, majoritaire, voire unanime sous l’empire de la pensée et du sentiment d’une minorité. Quelques-uns ont su ce qu’ils voulaient et l’ont fait vouloir à des millions d’hommes. Le 1er juillet 1914 il n’y avait pas 10,000 hommes dans le monde qui voulaient la guerre ; ils l’ont imposée à 400 millions. Partout le même phénomène de fusion patriotique des partis et de discipline nationale, la disparition instantanée de toutes les divergences, chaque pays tout entier se trouvant debout et uni pour affronter la tâche suprême, partout l’Union sacrée. Ces immenses consciences collectives ont pu être formées grâce à un ensemble d’institutions appropriées. Les gouvernements en effet possèdent, pour maintenir leur peuple dans la persuasion et dans l’obéissance, des moyens encore autrement puissants que ceux d’il y a cent ans. Ils en ont aussi pour atteindre leurs fins militaires : quasi-suspension de l’action parlementaire après vote en bloc et sans discussion, pleins pouvoirs donnés aux gouvernements qui agissent par décrets ; main mise sur tous les hommes, tous les moyens de communication, tous les approvisionnements ; étatisation d’usines ; réglementation de la vente des marchandises essentielles ; toute l’importation et l’exportation centralisée aux mains de l’État ; union militaire, diplomatique et économique rendue entre les alliés ; millions de soldats obéissant aux mesures concertées. Chaque nation belligérante a montré ainsi ce que peut pendant la guerre tout un peuple dont les énergies s’unissent dans une même tâche, qui subordonne à une ferme direction non seulement ses forces mais son génie et sa pensée.

3. Lorsque nous étudions les institutions elles nous paraissent agir à la façon des machines à l’égard des grandes forces naturelles. Ces forces (chaleur, lumière, électricité, attraction moléculaire, etc.) sont diffuses dans nos milieux. Elles ont besoin d’être captées, condensées