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doute se réparer de grands chagrins ; mais le plus grand inconvénient attaché à cette sensibilité emportée, c’est qu’il est impossible que quelqu’un qui aime à cet excès soit aimé, et qu’il n’y a presque point d’hommes dont le goût ne diminue par la connoissance d’une telle passion. Cela doit sans doute paroître bien étrange à qui ne connoit pas encore assez le cœur humain ; mais pour peu qu’on ait réfléchi sur ce que nous offre l’expérience, on sentira que pour conserver long-tems le cœur de son amant, il faut toujours que l’espérance ou la crainte agisse sur lui : or, une passion, telle que je viens de la dépeindre, produit un abandonnement de soi-même qui rend incapable de tout art ; l’amour perce de tout côté ; on commence par vous adorer, cela est impossible autrement ; mais bientôt la certitude d’être aimé, l’ennui d’être toujours prévenu, le malheur de n’avoir rien à craindre, émoussent les goûts. Voilà comme est fait le cœur humain ; et qu’on ne croie pas que j’en parle par rancune. J’ai reçu de Dieu, il est vrai,