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M’objecterait-on que, dans ce passage, vous ne parlez pas des langues en général et dans un sens absolu ? que ce mot aujourd’hui s’applique aux langues tout comme à l’intelligence, et se trouve là pour restreindre ce que vous dites des langues aux langues développées à un certain degré ? que ces autres mots : « voilà comme aujourd’hui se passent les choses ; mais se sont-elles toujours ainsi passées ? » indiquent un état de la parole, une période où les langues n’auraient pas été assujetties à la nécessité que vous observez dans leur état actuel ?

Je répondrais hardiment que cette interprétation n’est pas soutenable. J’admets (et certes cela n’a pas besoin d’être admis par moi) différents degré de développement dans les langues : oui, mais dans les langues, c’est-à-dire dans quelque chose qui ait les conditions nécessaires pour être une langue ; mais dans ces conditions point de degré : on les a, ou l’on ne les a pas ; on est (il me faut absolument en revenir là) ou l’on n’est point une langue. Or, on n’est langue qu’à condition d’avoir des mots ; on n’est mot qu’a condition de nommer ; on ne nomme quoi que ce soit, qu’à condition de supposer non seulement son contraire, s’il en a, mais autre chose qui n’est pas ce que l’on nomme. Nommer, c’est choisir, c’est distinguer, c’est exclure : c’est, pour en parler à votre manière (qui est ma foi la bonne, et dont, certainement, je ne me serais pas avisé sans vous), c’est nier l’identité avec ce qu’on nomme, et en même temps, et par cela même, affirmer l’existence d’autre chose qu’on ne nomme pas. Il y a un etcetera dans chaque mot, dans tous les mots possibles, dans le mot tout, comme dans le mot partie, puisque celui-là ne suppose pas moins la conception de celui-ci, que celui-ci de celui-là. Que dis-je, un mot suppose autre chose que ce qu’il nomme ? ne suppose-t-il pas d’autres choses nommées, ne suppose-t-il pas d’autres mots ? Car, conçoit-on un mot, sans qu’il y en