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ceur, de suavité, de délicieuse saveur : ou plutôt rassemblant toutes les propriétés des deux autres, elle charme, elle soutient, elle guérit.

2. Mes frères, approchons de cette table, et goûtons au moins à chacun des mêts qui y sont servis. Dans sa loi, Moïse a ordonné de lapider ces gens-là, disent des pécheurs parlant d’une pécheresse et les Pharisiens à propos d’une adultère. Il a parlé ainsi à cause de la dureté de vos cœurs. Mais Jésus se baissa. Seigneur, abaissez les cieux et descendez[1]. En s’inclinant, en se laissant fléchir à la miséricorde (car il n’avait pas un cœur de juif) il écrivait avec son doigt, non sur la pierre, mais sur la terre. Et là il y a, non pas une écriture unique, mais une double écriture, comme il y a deux tables dans les mains de Moïse. Peut-être écrivait-il vérité et grâce, et en écrivant une seconde fois, semble-t-il les imprimer sur la terre, selon ce mot de l’apôtre saint Jean ; La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité ont été réalisées par Jésus-Christ[2]. Est-ce dans la table de la vérité qu’il a lu, pour réfuter les Pharisiens : Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre ? Parole courte mais vive et efficace, plus pénétrante qu’un glaive acéré. À ce mot, comme ces cœurs de rocher sont brisés ! comme ces fronts de granit sont broyés sous cette petite pierre ! C’est ce que prouvent bien la confusion qui les couvre, et leur retraite clandestine. Cette adultère méritait, il est vrai, d’être lapidée. Mais que celui-là trouve de la joie à punir qui n’est pas lui-même digne de châtiment ! Que celui-là ose tirer vengeance d’une pécheresse qui ne mérite pas le premier d’être traité ainsi ! Sinon commencez par vous ; vous êtes si près de vous-mêmes ! Prononcez la sentence, et exercez la vengeance contre vous. Ainsi parle la Vérité.

3. Mais ce n’est pas tout encore : car cette Vérité a confondu les accusateurs, sans absoudre la coupable. Qu’elle écrive donc de nouveau, qu’elle écrive sa grâce, qu’elle lise ensuite, et que nous l’entendions. Femme, personne ne vous a condamnée ? Personne, Seigneur. Je ne vous condamnerai pas non plus : allez et ne péchez plus. Ô parole de miséricorde ! quelle joie salutaire on éprouve en l’entendant ! Seigneur, ah ! faites-moi entendre, dès le matin, votre miséricorde, parce que j’ai espéré en vous[3]. Car l’espérance seule obtient auprès de vous la place de la miséricorde, et vous ne versez l’huile de cette miséricorde que dans le vase de la confiance. Mais il y a une confiance infidèle, qui ne peut qu’attirer la malédiction. C’est lorsque nous nous autorisons de l’espoir du pardon pour pécher. Une pareille disposition ne mérite pas le nom d’espérance ; c’est une insensibilité, une dissimulation fatales. Car quel espoir peut avoir celui qui ne voit pas le péril ? ou quel remède pouvez-vous avoir contre la crainte quand vous n’avez le sentiment ni de la crainte, ni de ce qui en est la matière ? La confiance est une consolation : et il n’a pas besoin de consolation celui qui trouve sa joie à mal faire, et qui met ses délices dans le crime. C’est pourquoi, mes frères, prions le ciel de nous répondre et de nous faire connaître l’énormité de nos iniquités et de nos péchés : souhaitons que nos crimes nous soient montrés. Sondons nos voies et nos dispositions : et songeons sérieusement à tous les périls que nous courons. Que chacun dise dans un sentiment de terreur : j’irai aux portes de l’enfer ; afin que nous ne respirions plus que par la seule miséricorde de Dieu. Voilà la vraie confiance de l’homme qui se défie de lui-même, pour ne s’appuyer que sur son Dieu. Voilà, dis-je, la véritable confiance à laquelle la miséricorde n’est pas refusée, car le Prophète le déclare : Dieu se complaît en ceux qui le craignent et en ceux qui espèrent en sa miséricorde[4]. Et, certes, les biens qu’il nous ménage ne sont pas à dédaigner. Nous trouvons en nous un sujet de crainte, mais en lui un motif de confiance. Il est doux et plein de suavité : riche est sa miséricorde ; il se laisse apaiser, il est libéral en ses pardons. Croyons en ses ennemis eux-mêmes qui n’ont pas trouvé en lui d’autre base pour y appuyer leurs calomnies. Il compatira au sort de la pécheresse, disent-ils, et il ne la laissera pas mettre à mort. Il se montrera donc l’ennemi évident de la loi en absolvant une femme condamnée par la loi. Ô Pharisiens ! toutes les inventions de votre malignité vont retomber sur vos têtes. Vous vous défiez de votre cause, puisque vous cherchez à éluder le jugement. L’absolution de cette femme ne porte aucune atteinte à la loi, puisqu’elle reste sans accusateur.

4. Mais, considérons, mes frères, où vont ces Pharisiens en se retirant. Voyez-vous ces deux vieillards (les plus vieux ont donné le signal du départ) se cacher dans le verger de

  1. Ps. cxliii, 5.
  2. Jean i, 17.
  3. Ps. cxlii, 8.
  4. Ps. cxlvi, 11.