Page:Oeuvres de Saint Bernard, Tome 4, 1870.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nitence, mais une pénitence insensée ; secondement, sa fuite, mais téméraire et déraisonnable ; troisièmement, ses combats, mais des combats hésitants et timides ; quatrièmement, sa victoire forte et sage. Tout cela se rencontre dans quiconque fuit le monde. Car, d’abord, il est réduit au besoin, et à la folie ; ensuite il est téméraire et emporté dans la prospérité ; en troisième lieu, il est timide et pusillanime dans l’adversité, enfin il devient prudent, éclairé, parfait sous l’empire de la Charité.


Parabole II




Du combat spirituel {ou encore de la lutte des vices et des vertus).

1. Entre Babylone et Jérusalem point de paix, mais guerre éternelle. Chacune de ces villes a son Roi. Le roi de Jérusalem est le Seigneur Jésus ; le démon est le roi de Babylone. Et comme l’un règne avec la justice et l’autre par la malice, le roi de Babylone cherche par les esprits impurs ses ministres, à séduire et à attirer les habitants de Jérusalem et à les rendre esclaves du mal. Mais la sentinelle placée sur les murs de Jérusalem ayant vu emmener un des habitants de la cité sainte envoya aussitôt prévenir le prince qu’on venait de lui enlever un de ses sujets pour le traîner captif à Babylone. Le roi appelant un de ses serviteurs, l’esprit de Crainte, soldat excellent en ces rencontres : Va promptement, lui dit-il, et arrache cette proie à l’ennemi. Cet esprit toujours prêt à exécuter les ordres qu’on lui donne poursuit, avec une vitesse incroyable, l’ennemi qui reconnaît son approche, comme on sent venir un violent tourbillon. La Crainte en effet tonne si fort qu’à sa voix puissante l’ennemi troublé prend la fuite. Elle ne le poursuit pas bien loin, elle se contente de reprendre sou concitoyen captif et de le ramener. Mais un de ses adversaires, l’esprit de Tristesse, n’était pas avec ses compagnons lorsque la Crainte leur livra cet assaut. Voyant ses amis en fuite elle s’élance de l’embuscade où elle se tenait cachée, et accourt. Hélas ! lui dit-on, la Crainte seule a causé ce désordre, et a mis la confusion au milieu de nous. Non ! non, reprend la Tristesse, ne redoutez pas la Crainte : je sais ce qu’il y a à faire. Je vais me placer sur la route, dans un coin, et je me donnerai faussement pour une amie de la Crainte. Je la connais, et je sais qu’il faut user avec elle de ruse plus que de violence. Attendez la fin. Aussitôt dit, aussitôt fait : elle prend un chemin de traverse et devance la Crainte, et revenant sur ses pas elle accourt à sa rencontre, et lui tient un langage faussement amical, et plein de perfidie, si bien qu’elle allait la circonvenir dans sa bonne foi et l’entraîner dans l’abîme du désespoir, quand la sentinelle avisa le roi de ce qui se passait. Aussitôt le roi mande un de ses meilleurs officiers, l’Espérance, et lui prescrit de monter sur le cheval du Désir, et de courir avec l’épée de la Joie au secours de la Crainte. À peine ce fidèle officier a-t-il reçu cette mission qu’il part, et arrivé sur les lieux il met la Tristesse en fuite en brandissant l’épée de la Joie dont sa main est armée. Il délivre son concitoyen, le fait monter sur son cheval, et marchant en avant, il le tire avec la corde des promesses, tandis que la Crainte le suit et le pousse avec le fouet de ses péchés passés.

2. Le cheval marchait bien ainsi tiré et ainsi poussé, mais il courait si vite qu’une pareille marche était dangereuse. Aussi les soldats de Babylone s’assemblèrent et tinrent conseil entre eux : Que faisons-nous ? disaient-ils : le prisonnier nous échappe, et nous croyions le tenir. Comment, les applaudissements de l’enfer se sont-ils changés en pleurs ? et deux soldats seuls ont mis le ciel en joie, par la délivrance de leur concitoyen ? Quoi ! les efforts et les ruses de Satan ont été si facilement déjoués ! Un de ces soldats plus