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Dieu ! je me doute bien que ce n’est guère intéressant. Si c’est sa vie qu’il raconte, là-dedans, ça ne doit pas être drôle ! Pourtant, on ne sait jamais ! Et puis, il m’a dit bien des fois que vous étiez son meilleur ami. Il avait pour vous une admiration sans bornes !

— Il était bien bon ! maugréai-je.

— Et si, par hasard, vous jugiez que cela puisse être publié… Dame, après tout ! Dans la position où je suis, ça ne serait pas une mauvaise chose. On m’a raconté qu’il y avait des livres qui rapportaient des mille et des cent !

Et elle déposa le manuscrit sur ma table.

— Je suis très flatté, madame, de la confiance que voulut bien me marquer votre mari. Mais vous savez combien on a peu de temps à soi. Pourquoi ne liriez-vous pas ce manuscrit vous-même ?

La veuve hocha la tête et tristement elle répliqua :

— C’est que moi, voyez-vous, je n’ai pas beaucoup de critique. Et puis, il faut tout vous dire, jamais je n’ai pu me faire à son écriture !

— Je me souviens bien, dis-je. Votre mari était caissier dans une maison de commerce ! Est-ce que vous connaissiez ses goûts littéraires ?

— Il ne parlait jamais de rien devant moi !

— Vous avez des enfants ?

— Non, monsieur. Heureusement… dans la position où je suis, qu’est-ce que j’en ferais ? J’ai déjà bien assez de ce manuscrit.

Je ne crus mieux faire, pour me débarrasser de cette lamentable veuve, que de la prier de me laisser ce manuscrit. Je lui promis de le lire et de lui en exprimer mon avis, un jour ou l’autre.

— Plutôt l’autre ! accentuai-je en la reconduisant.

Quand je fus seul, j’eus un instant l’idée de jeter aux ordures ce paquet importun. Pourtant, je le débarrassai du papier goudronné qui le recouvrait, et sur la première page, écrits à l’encre rouge, j’aperçus ces deux mots : Mes mémoires.

Je retournai encore cette page et me mis à lire. Mais dès les premières phrases je demeurai stupide. C’était tout sim-