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Dépôt. Je vais mener aussi le camelot au Dépôt. Vous vous débrouillerez devant le juge d’instruction. Et il ordonna aux agents :

— Au Dépôt, tout le monde ! Par le flanc droit, arche !

Je fus donc conduit au Dépôt. Durant la route, le camelot ne cessa de protester :

— Je suis un citoyen français ! Je me plaindrai à Rochefort !

Il y avait eu, dans la journée, une rafle de malfaiteurs et de filles publiques. Toutes les salles de cette abominable prison étaient encombrées de figures assez sinistres, il est vrai, mais dont j’eus plus de pitié que d’horreur. Je n’essaierai pas de dépeindre la saleté et la malodeur de ces salles. Cela dépasse toute imagination, et je ne crois pas qu’il y ait des mots assez forts pour en donner l’idée. L’impression sur ma personne physique fut telle que je faillis m’évanouir. Il me sembla que je venais de recevoir, d’un coup, le choc de toutes les maladies mortelles. De fait, l’air chargé de miasmes trop lourds était irrespirable. Il s’agglutinait à mes bronches comme de la matière solide, âpre et gluante.

Quant à l’impression morale que j’en ressentis, ce fut pire encore. Longtemps, je fus accablé comme sous le poids d’une chose trop pesante et douloureuse.

Ce qui, dans ce grouillement humain, apparaît plus que le vice et le crime, c’est la pauvreté, la détresse infinie où la société peut précipiter des êtres vivants et qui ont, si déformés qu’ils soient, un cerveau et un cœur, de la pensée et de l’amour ! Ces deux choses mystérieuses et qui font la créature humaine, il n’est pas un regard où je ne les aie reconnues, même aux yeux des plus brutes et des plus déchus ! Et ces êtres qui, malgré tout, conservent dans les ténèbres de leur raison et de leur conscience, un reflet trouble de cette lueur d’humanité, on les traite comme on n’oserait pas traiter des rats ou des cloportes ! Ici, dans la promiscuité hideuse de ces salles, tous les âges sont confondus. À côté des vieux routiers de la débauche et du crime, se voient de pauvres enfants de douze ans, à qui il serait facile, pourtant, d’éviter de pareils contacts et qui, bien souvent, gardent, d’une seule journée ou d’une seule nuit passée dans