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Je n’avais pas bien compris cette question, qu’il m’avait posée d’une voix soufflante et brouillée. Je dis machinalement :

— Je voulais en avoir le cœur net.

Le commissaire s’ébroua comme un cheval.

— Comment, le cœur net ? fit-il. Vous vouliez la violer ?

— Oh ! monsieur le commissaire…

— Enfin, expliquez-vous ! Quoi ? Qu’est-ce que vous entendez par votre cœur net ?

Et, sans me donner le temps de répondre, brusquement :

— Comment vous appelez-vous ? Et qu’est-ce que vous faites ici ?

Je le lui dis.

— Quel âge avez-vous ?

— Vingt ans !

— Et d’où venez-vous ?

Alors, je racontai mon pays, ma mère, monsieur Narcisse, mon petit chien Bijou, ma maladie, notre voyage à Paris, et les vieux amis de ma famille, et la terreur que j’avais eue, dès le premier jour, dans l’escalier de la maison meublée. Lorsque j’eus terminé mon récit :

— C’est bien curieux !… fit-il. Une jeune femme, mon Dieu, que vous l’ayez tuée, je ne l’excuserais pas, mais je le comprendrais. Dans la passion, on ne se connaît plus. Mais une vieille comme celle-ci ! Vous êtes donc fou ?

— Mais je ne l’ai pas tuée, monsieur le commissaire, criai-je de toutes mes forces. Ce n’est pas moi qui l’ai tuée !

— Alors, qu’est-ce que vous me chantez depuis une demi-heure ? Qui est-ce qui l’a tuée ?…

— Je ne sais pas !

Le commissaire se leva, me prit par les épaules, me regarda fixement :

— C’est le camelot, hein ! Allons, dites-le !

— Mais non… je ne sais pas… je n’ai rien vu. Et c’est pour cela, monsieur le commissaire, que je voulais en avoir le cœur net !

Le commissaire réfléchit, puis, prenant une résolution brusque :

— Tout cela n’est pas clair ! dit-il. Je vais vous mener au