Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/385

Cette page n’a pas encore été corrigée

nous, le soldat commence à réfléchir, à sentir le dégoût de son métier. Malgré la dureté de la discipline, on parle dans les casernes ; ce n’est pas, je vous assure, pour y exalter le métier des armes et y glorifier la guerre. Pris entre la Russie et la France, comment échapperions-nous à ce grand mouvement dont le monde tout entier tressaille ?… Oh ! je ne suis pas assez bête pour croire… Non… Non… Et pourtant !… J’ignore la destinée parlementaire du socialisme allemand, et m’en inquiète, d’ailleurs, fort peu… Il y a tant de hasards dans les élections, tant de contingences mystérieuses qui en faussent la portée !… Mais je constate qu’il fait, chaque jour, des progrès dans les masses populaires et, aussi, parmi la jeunesse bourgeoise éclairée…

— Vous êtes donc socialiste, maintenant ?… crus-je devoir lui demander.

— Mon cher, je suis toujours socialiste, le soir, après dîner, affirma von B… solennellement.

Et il continua :

— Le jour où le socialisme voudra bien répudier cette sorte de sentimentalisme nationaliste, qui l’enchaîne encore à de regrettables préjugés, il accomplira de grandes choses en Allemagne et dans le monde. Ah ! le beau moment pour le désarmement ! Le peuple qui, aujourd’hui, jetterait bas les armes serait à jamais béni. Il faut être un homme politique, c’est-à-dire ne rien comprendre aux aspirations de son temps, pour redouter les conséquences de cette délivrance qui serait saluée, avec enthousiasme – que les Empereurs le veuillent ou non – par toutes les nations…

Il s’exaltait et, à mesure qu’il s’exaltait, sa voix s’embarrassait, s’empâtait dans les grands mots sonores, et il n’arrivait que difficilement à les prononcer. Il eut beaucoup de peine à achever sa tirade.