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ladâmes les rues sinueuses et montueuses, à la grande joie des promeneurs – c’était un dimanche, – et sous la conduite d’un petit pâtissier, très fier d’être monté sur le marchepied, et qui nous mit gentiment sur notre chemin, de l’autre côté de la ville.

Ah ! quelle route !

Quelle route que cette route où nous mena le petit pâtissier de Clèves, la plus belle de ces belles routes du Rhin, construites par Napoléon, pour les affreux défilés de la guerre, et où, maintenant, passe ce que l’automobilisme apporte avec lui de civilisation moins rude, de sociabilité universelle et d’avenir pacificateur.

Elle était, cette route, bordée d’une double rangée de magnifiques ormes, avec du printemps très tendre, très jeune, entre leurs branches, une poussière de printemps, à peine rose, à peine verte, à la pointe de leurs branches ; elle était large, étalée, comme notre avenue des Champs-Élysées, douce et unie comme si elle eût été tendue de soie, et toute droite, si droite qu’on n’en voyait pas le bout, sinon, là-bas, tout là-bas, aux confins du ciel, un tout mince ruban jaune, un tout petit trait de pastel jaune que nous ne pouvions jamais atteindre… Et le soleil de cette fin de journée faisait avec les entrelacs de l’ombre, comme un tapis, tel que n’en tissèrent jamais les plus subtils artisans de la Perse.

Sur ce sol merveilleux, la machine, emportée au rythme d’un ronflement léger, régulier, infiniment doux – bruit d’ailes ou souffle de vent lointain – glissait, volait, ainsi qu’un oiseau rapide qui rase la surface immobile d’un lac.

Brossette ne disait plus rien, ne répondait plus à mes questions. Il était grave, regardait la route d’un œil légèrement bridé, et il écoutait chanter la belle chanson des cylindres.