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cher leur soif éternelle, insuffisamment calmée par ce qu’y laissent les chiens, en passant. Un épigraphiste subtil pourrait lire l’enseigne que fit peindre, en lettres vermillon, le prédécesseur de Jaulin : Au nez rouge. Mais Jaulin est un cabaretier sérieux et il a de la tenue. Certes, il ne repousse pas les ivrognes qui le font vivre, mais il ne les attire pas non plus, par d’aussi cyniques promesses et d’aussi pittoresques aveux. Il a badigeonné l’enseigne, pas assez toutefois pour qu’elle ne reparaisse un peu, les jours de pluie, sous la mince couche de chaux qui la recouvre. D’ailleurs, il faut rendre cette justice aux gens de Ponteilles, que s’ils boivent beaucoup, ils boivent presque silencieusement. Ils ont l’ivresse morne et têtue. Les querelles, les batteries sont rares.

Jaulin n’a pas de prénom — du moins, aucun ne l’appelle par son prénom, qui, du reste, avouons-le, est : Évariste. Même pour ses camarades d’enfance, Jaulin est Jaulin, brièvement, simplement, comme Dieu est Dieu.

Comme Dieu aussi, c’est un personnage important. De beaucoup le plus important personnage de Ponteilles.

Son cabaret étant le plus achalandé, il exerce une grosse influence politique et morale sur ses compatriotes. Malheur au maire qui ne serait pas d’accord avec lui ! Il ne tenait d’ailleurs qu’à