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d’une main tremblante et avec un air de lui dire :

— Tu vois, je te donne un morceau de sucre. Je n’en ai jamais donné à personne… pas même à un petit enfant, souviens-toi que je t’en ai donné un, à toi…

Refuser un morceau de sucre… un chien !… On n’avait jamais vu ça… Alors, ils s’émurent grandement.

De terribles histoires, que rien ne justifiait encore, commencèrent de circuler sur son compte, les mêmes, ou à peu près, qui avaient circulé sur le mien, dès mon arrivée dans le village.

D’ailleurs, on s’émouvait de tout à Ponteilles-en-Barcis. Comme chez les peuplades sauvages primitives, les choses y prenaient instantanément — les choses, les bêtes, et les gens — un caractère de déformation démesurément tragique.

Ponteilles-en-Barcis, qui domine tout le vaste et gras plateau du Barcis, les jolies et vertes vallées de la Biorne, de la Siorne et de la Viorne, est bâti de chaque côté de la route de Paris à Compiègne, sur une longueur interminable de huit cents mètres. Ce n’est qu’une rue, une rue très sale, horriblement dure et cahoteuse, où s’accumulent les bouses, les crottins et les fientes, où les ordures ménagères s’éternisent au creux des pavés. À gauche, à droite, de petites venelles