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un peu trop humiliée, un peu basse l’affection que les chiens nous témoignent.

Ses yeux m’impressionnaient à un point que je ne saurais dire.

Ils étaient à la fois graves et rieurs, terribles et très doux, mobiles comme des astres et fixes comme des gouffres. Ils étaient tout cela, et ils étaient plus que tout cela et ils étaient bien autre chose encore. Le trouble qu’ils causaient à l’âme venait, je crois, de cette inexpression hallucinante qu’ont certains yeux de fous, certains yeux de mineurs, certains reflets dans l’eau, certains reflets de ciel, de feu, de foules, de chairs maquillées et de cheveux teints qui composent la surface des pierres précieuses… inexpression formidable qui, avec un peu d’imagination neurasthénique, contient et projette sur nous, en rayons multicolores, avec toutes les expressions de la vie visible, toutes les expressions centuplées de la vie qui se cache dans l’inconnu.

Je ne sais, en vérité, comment expliquer cela ; car, enfin, je suis un esprit fort et, chacun le sait, ennemi de toutes les superstitions et de toutes « les croyances ». J’en suis à me dire que cette magie, dont les sorciers animent le marc de café, habitait les yeux de Dingo. Marie Toton, qui croyait à la toute-puissance des cartes, des lignes