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J’étais seul… séparé de ma femme par la cloison d’une chambre, plus douloureusement seul que si elle avait été absente et soignée loin de moi.

C’est alors que j’écrivis à mon ami, le grand romancier Georges Datant. Lui partagerait ma solitude. Il était vraiment l’ami des mauvais jours, celui qui vient quand les autres s’évadent. Ainsi, les médecins, quand toutes les drogues ont échoué, essaient le médicament héroïque. Je ne pouvais soupçonner Dalant que d’éprouver une joie à se sacrifier et je ne pouvais lui reprocher que l’excès de sa gratitude envers moi. J’avais eu la chance d’aider à ses débuts. Et les manifestations de sa reconnaissance auraient paru maladives à quiconque ignorait sa sensibilité.

Sa sensibilité… On disait qu’elle était exquise, quand on ne disait pas surexquise. Les journaux parlaient de la sensibilité de Dalant. Elle alimentait la rubrique des échos. On lui prêtait des traits de sensibilité, comme on prête à d’autres des traits d’esprit. Sa sensibilité était contrôlée, brevetée.

Je reçus de Dalant une longue lettre, sensible… ah sensible ! Mais il ne vint que la semaine suivante. J’étais allé l’attendre à la gare. Comme il descendait de son compartiment, il portait déjà