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journées à errer de long en large, à fumer des cigarettes, d’innombrables cigarettes que je jetais, sitôt allumées. Tous les planchers de toutes les pièces en étaient couverts.

Depuis six mois que nous étions installés à Veneux-Nadon, tous nos amis étaient venus nous voir. La maison n’avait cessé d’être bruyante et gaie. On dressait pour les repas la table dans le jardin et la nappe à carreaux brillait sous le soleil à travers les feuilles. L’après-midi, nous faisions des promenades en forêt : nous partions pleins de cet optimisme et de cette espérance vagues que la campagne donne aux gens de la ville. Au retour de ces expéditions, il semblait que la maison rustique nous accueillît avec cordialité, comme une parente de province.

Après l’accident, quelques-uns de nos amis vinrent prendre des nouvelles. Ils firent quelques pas avec moi dans le jardin. Je les vois encore regardant, d’un œil méfiant, vers la maison, comme si elle cachait un malheur prochain. Et ils me regardaient moi-même avec une sorte d’étonnement et de gêne, comme si je portais sur le visage les traces d’une infirmité à son début.

D’autres écrivirent. Je répondis. Ils n’écrivirent plus. Je compris qu’être malheureux, c’est être infidèle à ses amis… Je n’avais plus d’amis… Je n’avais jamais eu d’amis.