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distinguer le chien, le meilleur de la meute, sans doute. Mais le boucher dit, dans un groupe :

— Ah mais… c’est le chien de Veneux-Nadon…

Et bientôt, moi aussi, j’ai reconnu Dingo. Je l’appelle… Je ne me suis jamais indigné de ses meurtres et de ses chasses. Mais, en cet instant, j’ai honte de lui. Dingo complice des habits rouges et des femmes roses ! Je l’appelle… Mais il ne m’entend pas. Il est tout entier à sa poursuite. Il frappe l’eau maintenant avec une sorte de rage. Il avance, le cou tendu. Le cerf nage moins vite. La meute a rejoint et se presse derrière Dingo, comme si elle était une seule bête, plaquant sur le fleuve son dos onduleux et contracté.

Alors, c’est le délire, la bousculade, des cris, des vociférations, des voix furieuses d’hommes encourageant les voix hurlantes des chiens… Et des cavaliers débouchant de tous les côtés. Les sabots des chevaux sonnent sur la route empierrée. D’autres chevaux se cabrent parmi des voitures. On agite des mouchoirs, des chapeaux… Des gestes violents, des gestes crispés. On dirait un massacre, un pillage, le sac d’une ville conquise, tant tous ces bruits, toutes ces voix, tous ces gestes ont un caractère de sauvagerie, d’exaltation homicide.