Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui, le soir, langoureuses, pâmées, chuchotent des mots d’amour et parlent, parlent de leur âme… ah ! oui, de leur âme blessée, de leur âme meurtrie, de leur pauvre âme assoiffée d’idéal… les chers cœurs. Et j’ai vu passer encore, endimanchées et fébriles, des familles entières de petits bourgeois, et des paysans et des ouvriers qui sont venus, en foule, de la ville, des villages voisins, attirés par les promesses d’un double spectacle : contempler de près des personnes riches dans le brillant exercice de leur richesse, et, peut-être, assister à la mort, au dépècement de quelque chose de vivant par des chiens…

Quelques-uns se sont arrêtés devant l’auberge des Plâtreries… C’est un bon endroit, et l’hallali y sonne souvent. Ces braves gens mêlés, oisifs et prolétaires, sont impatients, anxieux. Les petits trépignent, les grands ont des figures graves. Joies de carnassiers, admiration servile devant le luxe et ses manifestations meurtrières, je ne surprends rien d’autre sur ces visages… Une jeune fille dit :

— Pourvu qu’on le prenne au milieu de la Seine… c’est bien plus beau !

— Oui… le soir… avec des torches !… accentue la mère.

Un gamin aux joues boutonneuses, aux jambes torses, dit ensuite :