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teaux, les fourchettes. Il savait, en pliant sa serviette, lui donner à volonté l’aspect d’une tête de cochon ou d’un prédicateur dans sa chaire. Au dessert, il dessinait, avec son crayon, des rébus grivois sur la nappe.

Il remplit la maison d’une si terrible gaîté que nous en étions réduits, ma femme et moi, à espérer, à désirer, à souhaiter un malheur, n’importe lequel, un incendie, une ruine, une mort.

Un jour que Flamant travaillait au jardin, Pierre Barque tomba en admiration devant lui.

— Ah ! le gaillard… me dit-il, un portrait épatant !…

Il alla à Flamant, qui bêchait, et se posa devant lui, comme un officier qui surveille un soldat en corvée. Et du ton cordial et crâne qui lui était familier, il lui dit :

— Hé mon brave… ah… ah… vous allez poser pour moi… Veinard… va… comme les jolies femmes.

Flamant se redressa, s’appuya sur sa bêche et regarda simplement Barque de ses yeux gris, sans colère d’ailleurs et comme s’il n’avait pas compris, comme s’il avait dédaigné de comprendre. La sueur coulait en larges gouttes sur son front et brillait sur ses joues rongées par la barbe. Il ne répondit pas, regarda Pierre Barque encore, cracha dans ses doigts et reprit sa bêche.