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J’ajoutai :

— Tu sais que je suis marié.

Alors le brave garçon me tapa de nouveau sur les genoux et il me dit en accentuant son rire :

— Oh, les vrais amis, les vieux amis… jamais… Vieux zèbre… va.

Il empoigna la carafe et il laissa tomber l’eau, goutte à goutte, dans l’absinthe qui surnageait.

Le soir même, il arrivait chez moi avec ce qu’il appelait ses malles.

— Tu vois, mon vieux… Je ne fais pas d’histoires, moi… Je suis gentil avec les amis. Je suis un zèbre… moi !

Pierre Barque s’installa. Le matin, il descendait en pantoufles et en chemise de nuit prendre son chocolat. Il beurrait ses tartines avec le même soin qu’il préparait ses absinthes au café. Il les beurrait, comme un garçon honnête qui a sa conscience pour lui. C’était un véritable travail d’art. Il beurrait son pain comme un ouvrier habile ripoline une planchette. Enfin, il montrait un goût très vif pour la vie de famille. Si ma femme tardait à descendre, il posait sa tartine sur la table, allait dans l’antichambre et, appuyé à la pomme de la rampe, il criait dans l’escalier :

— Hé la bourgeoise… y a plus moyen ?…

Il imitait les cris d’animaux, tous les cris d’animaux. Il jouait avec la vaisselle, les cou-