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— Je m’amuse… répondit-il.

J’insistai :

— Mais, enfin, de qui est cette musique ?

— De personne…

— Mais qui donc vous a appris ?…

— Personne… je m’amuse…

Et je ne pus tirer de lui d’autres mots que ceux-ci :

— Je m’amuse…

Un jour que je passais à Fontainebleau avec Dingo, je fus hélé de la terrasse d’un café. Je me retournai. Et parmi les têtes de rentiers locaux, de cyclistes s’épongeant, d’automobilistes poussiéreux, je reconnus, dressé devant sa chaise et me faisant des signes cordiaux et comiques, mon ami Pierre Barque.

— Eh ! vieux zèbre, me cria-t-il…

Il y avait bien six ans que je ne l’avais pas vu. Il me serra la main si fort que je faillis pousser un cri de douleur.

— Comment… c’est toi ? Quelle chance… Ah ! vieux zèbre !…

Vieux zèbre, c’était le mot familier de mon ami Pierre Barque, qui lui servait à désigner à la fois ses amis, les grands peintres, les grands poètes, les grands généraux et les garçons de café complaisants.