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Sans que je lui eusse posé d’autres questions, elle m’énuméra, avec cette rage attentive que mettent les comédiens petits et grands à parler de leur métier, tous les rôles qu’elle avait joués, qu’elle jouait, qu’elle jouerait…

Je profitai d’un court silence pour la remercier encore de sa gentillesse avec Dingo.

Cependant, Dingo allait de Lina Lauréal à sa sœur, posait son museau sur les robes de théâtre et aussi s’avançait vers la porte, devant laquelle il attendait avec impatience. Lorsque je voulus partir, il sauta devant Lina Lauréal, la caressant, essayant avec ses pattes d’atteindre à ses épaules et de se dresser assez haut pour lui lécher le visage. Il prenait congé et semblait la remercier. Elle lui parla comme une petite fille parle à sa poupée. Était-ce pour sa misère ou pour sa gentillesse qu’il l’avait, entre tous les passants, choisie, comme il avait, à Ponteilles, choisi Piscot et ses enfants ?

Dans la rue, je pensais tristement à cette pauvre fille qui promenait sa tuberculose de gare en gare, d’hôtel en hôtel, du théâtre de quartier aux théâtres municipaux, qui n’avait chaud que dans les wagons de deuxième classe et qui ne mangeait à sa faim que dans les restaurants à prix fixe voisins des gares. Et je m’imaginais aussi ces nuits après les spectacles, quand la troupe s’est dislo-