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n’allons pas à l’église… Je m’attends, tous les jours, aux plus dégoûtantes accusations, et à la façon dont nous sommes défendus par les pouvoirs publics, rien ne m’assure que je puisse en sortir victorieux et sans tache… Voilà ma vie… la vie de beaucoup de mes collègues… J’ai demandé mon déplacement… On ne me répond pas… Je suis allé voir le ministre… il ne m’a pas reçu… Ah ! non, j’en ai assez !… Plutôt la misère totale !…

Je me souviens que cette conversation, l’instituteur me la tenait, un soir, dans le jardin, où nous nous promenions, après le dîner, tristement. Le village tout entier dormait, tassé dans sa crasse, bercé par ses rêves atroces.

Je répondis au malheureux homme :

— Je sens profondément vos dégoûts et votre désarroi moral… Ils sont les miens… Mais, nous devons être quand même indulgents à ces pauvres brutes… Songez donc !… Il n’y a pas si longtemps, pas cent vingt ans, qu’ils étaient opprimés, dévorés, réduits à beaucoup moins que des animaux de basse-cour par les seigneurs, les évêques, les moines, les abbayes, le fisc du roi… À leur insu, il leur est resté comme une terreur de ces siècles épouvantables… Ils gardent, même dans l’émancipation, la méfiance, l’affolement des bêtes traquées… Les évolutions sont si lentes qu’il n’est pas surprenant qu’ils voient encore,