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détend, s’actionne comme des bielles et leur sert à soulever dans la gueule des poids très lourds. Ce qui n’est pas moins curieux, ils ne vivent que de poisson. On raconte qu’ils creusent la glace jusqu’à l’eau. Accroupis des journées entières au fond de leur trou transparent, le nez au ras du courant, ils attendent le passage d’un brochet, d’une carpe, d’une truite, d’un saumon, qu’ils attrapent, sans jamais les rater, avec la dextérité surprenante d’un phoque. Plus adroits qu’Herbert Spencer, qui fut, en même temps que le plus fameux philosophe, le pêcheur de saumon le plus fameux du Royaume-Uni, ils prennent de la sorte jusqu’à deux cents kilos de poisson par jour. Ils en font d’énormes provisions, qu’ils gardent dans un autre trou creusé de leurs pattes, bien à l’abri de toute corruption aérienne, et ils viennent en manger aux heures régulières de la faim. Malheur à ceux, hommes ou bêtes, qui découvriraient leur cachette et tenteraient de la cambrioler ! Depuis longtemps, je désirais posséder un de ces animaux extraordinaires. Je fis part de ce désir à mon correspondant de là-bas, où j’ai quelques intérêts. Six mois après, un beau jour, j’appris par un message administratif qu’un chien m’attendait à la gare. J’allai, comme il convient à un tel personnage, le recevoir solennellement. Son accueil fut simple, cordial, des plus em-