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moutons égorgés dans leurs parcs, cochons râlant au fond des fossés, chèvres expirant sur le talus des routes, au bout de leur piquet, vaches attaquées dans les pâtures, ânes éclopés, chevaux rompant leurs entraves et galopant, crinière horrifiée, à travers la plaine. Quelques-uns, plus stupides que les autres, s’allèrent noyer au loin, dans la Viorne. On raconta que trois poulains de demi-sang, trois magnifiques antenais, avaient disparu par les trous béants des carrières de marne.

Jamais personne n’avait rien vu de pareil depuis la guerre.

Dans le premier moment, on crut à une bande de loups. Et puis un cri s’éleva sur la campagne :

— Dingo !… Dingo ! Dingo !

D’une lieue à la ronde, chaque jour m’arrivèrent les plus sinistres récits et des réclamations folles, des paroles fiévreuses, des menaces, des procès et des procès, des cris de mort.

Un jour, c’était une vieille sorcière d’un hameau voisin qui venait se plaindre à moi, menaçante ou pleurarde, impérieuse ou suppliante selon le cas, et qui me disait :

— C’te nuit, ma vache a avorté, de la frayeur de vot’chien… Aussi vrai que le bon Dieu existe !… Je le prouverai… là, j’ai des témoins… Elle est ben bas ma vache… Elle va crever,

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