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histoires rassurantes. Elle s’écoulait harmonieusement, sans autres accidents que du bonheur, un constant bonheur. En apparence du moins, car ce qui se passe dans l’âme des gens heureux, ce n’est pas toujours du bonheur. Et ils ne savent pas ce que c’est, et ils croient souvent que c’est du malheur.

M. Lagniaud « était un enfant du pays ».

Fils d’un gros cultivateur de Ponteilles, le jeune Théophile avait reçu exceptionnellement un commencement d’instruction. Mis au collège de Beauvais, il avait poussé ses études sans éclat et bravement jusqu’à la troisième. Ensuite de quoi il avait été renvoyé pour des faits sur lesquels la famille garda le plus strict secret. Comme il ne montrait aucun goût pour la culture, il fut placé en apprentissage, à Cortoise, chez un de ses oncles qui fabriquait des paniers, des séchoirs, des éclisses, toute sorte d’appareils qui servent à l’industrie fromagère. Il fut actif, ingénieux, discipliné, empressé de plaire — il avait déjà son sourire — et, à la mort de son oncle, qui était veuf et sans enfants, il hérita de la petite usine. Il avait alors vingt ans. Grâce à cette industrie qu’il sut développer, il se tint en contact permanent, par de fréquentes visites commerciales, avec les paysans de la région, épousa à vingt-quatre ans une jeune fille des environs de Dieppe, affligée d’une coxal-