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En quelques heures, ils abattent trois cents, cinq cents moutons et autant de bœufs, cela pour le plaisir, par gaîté naturelle, en artistes du massacre, comme des hommes. Mais plus artistes que les hommes, conséquemment plus généreux, plus désintéressés, ils ne mangent pas leurs victimes. Étant d’un naturel très sobre, ils se contentent des petits lapins marsupiaux qui minent le sol australien et de ces minuscules kangourous qui, à chaque pas, sautillent dans l’herbe, comme les sauterelles dans nos prés. On m’affirme qu’en excellents tacticiens, avant de se jeter sur les troupeaux, il se ruent sur les chiens et même sur les hommes qui les gardent. En un tour de gueule, ils ont vite fait de les mettre hors de défense et de combat. Après quoi, ils peuvent travailler, sans être dérangés, tout à leur aise.

« Discrétion admirable que devraient bien imiter nos petits fox terriers si bruyants, si agaçants et si délicieux, les dingos n’aboient jamais. Ils ont déjà planté leurs crocs au bon endroit dans la gorge de l’ennemi, que celui-ci ne les a pas entendus venir, qu’il n’a perçu ni un frôlement dans les feuilles ni le moindre bruit d’herbe foulée. Ils ont le secret, presque surnaturel en vérité, de rendre à leur passage plus silencieuse la brousse épaisse et serrée, plus muet le sol sous le bond de leur course rapide, ardente et