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bler sur un même point toutes les subtilités de son odorat et de son goût, elle cherchait à se rendre compte de ce qui y manquait et à savoir pourquoi elle était détestable, cette délicieuse tarte aux prunes.

Mais je me repentis bien vite de toutes mes pensées méchantes et de ces frénétiques outrages. Je considérai Legrel qui à ce moment pelait silencieusement une pêche. Toute la bonté, toute la pureté, toute la droiture de sa grosse face naïve et la clarté de ses yeux, son dos rond, les trois dents qui lui manquaient sur le devant de la bouche… tout cela m’attendrit aux larmes. J’eus honte de moi. Ah ! comme j’aurais voulu lui demander pardon, l’embrasser. Ah ! mon pauvre cher !… Ah ! mon pauvre grand Legrel !…

Ce fut un soulagement général, quand Irène, qui se tournait et se retournait impatiente sur sa chaise, exhaussée par un gros dictionnaire de zoologie, se leva, appela Dingo, toujours allongé sous la table, et, le couvrant de caresses, lui dit :

— Mon petit Dingo, maintenant nous allons voir mon mouton, pas ?… Il est sous la charmille, attaché à un piquet, le pauvre… Il nous attend… Tu vas être gentil avec mon mouton… dis ?… Tu sais… je t’aime bien… mais j’aime bien aussi mon mouton… Tu vas voir comme il est drôle !…