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— Vous ! pardi ! vous êtes riche !

On s’imagine aisément ce que peuvent être pour une femme la surveillance, l’entretien de huit enfants. Retenue tout le jour à la maison, elle ne peut travailler, du moins d’un travail productif. Car pour le travail, elle en aurait plus qu’elle en peut humainement supporter, si depuis longtemps elle n’avait pris le sage parti de ne pas travailler du tout. La peau terreuse, la mâchoire édentée, le cheveu pauvre et rare, le ventre énorme et lourd, comme si elle était toujours enceinte, telle est Mme Piscot, la Piscote, comme on l’appelle. Elle ne se plaint pas souvent non plus, ne soupçonnant pas que la vie puisse être autre que ce qu’elle est. Au pire de ses détresses, elle dit ce que dit Piscot : « Avant toute chose, il faut des pauvres et des riches… » Elle ne se plaint même pas des saouleries de son homme ; et elle aussi se saoule, chaque fois qu’elle en trouve l’occasion… On l’aide bien un peu, mais si peu. Quelques nippes pour elle, pour les enfants, quelques fagots, quand il fait trop froid ; quand ils ont trop faim, quelques légumes et, de loin en loin, quelques restes de viande qui se gâtent… Après tout, mieux vaut encore les donner à quelqu’un, que de les jeter sur le fumier… L’odeur qu’elle dégage est épouvantable ; elle laisse derrière elle, dans la rue,