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la bouche toute mouillée de politesses, toute fleurie de sourires, le linge douteux, il avait l’air d’un chanoine. Un chanoine parfois un peu triste. Marié, sans enfants, on ne voyait jamais sa femme, qui, malade, disait-on, d’une neurasthénie incurable, passait ses journées à pleurer, étendue sur une chaise longue, dans sa chambre, dont les persiennes restaient toujours fermées. Il vivait modestement. La domesticité se composait d’une femme de ménage et du second clerc, qui s’initiait aux mystères du notariat, en balayant la maison et cirant les chaussures, en s’occupant du cheval et de la voiture. Il s’occupait aussi du jardin… Ah ! Ce n’était pas l’existence que maître Anselme Joliton avait rêvée. Il eût aimé recevoir des amis… donner quelques dîners intimes à des clients importants et sympathiques. Bien à regret, il avait dû renoncer à ces joies, justement à cause de sa pauvre, de sa chère malade, incapable de diriger la maison et qui ne voulait voir personne.

— Une vie brisée… soupirait-il… Par malheur, on ne me laisse pas l’espoir du moindre changement… C’est bien triste… Mais chacun a sa croix sur la terre…

Et il ajoutait, en rassemblant dans son regard résigné toutes les mélancolies qui sont éparses dans la vie :