Page:Octave Mirbeau - Dingo - Fasquelle 1913.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maître Anselme Joliton était notaire à Ponteilles depuis douze ans. Il avait succédé à maître Léonce Vertbled. Selon le rythme habituel, maître Vertbled, après vingt années d’exercice loyal et de confiance universelle, était parti un matin d’avril — ô joies du printemps — avec tout l’argent déposé dans son étude, tout l’argent de la Fabrique, dont il était le trésorier, tout l’argent d’un certain baron de Vissepet dont il gérait les propriétés, pour le compte de qui il touchait fermages, arrérages et redevances et qui se tua, le pauvre baron, découragé à la pensée qu’il devrait désormais les toucher lui-même, ce dont il ne se sentait pas capable… Le plus douloureux, ce n’était pas ce que maître Vertbled emportait, c’était ce qu’il laissait… Non seulement maître Vertbled était un génial voleur, c’était un puissant ironiste. Il laissait une situation tellement inextricable, au point de vue des attributions hypothécaires, et même des origines de la propriété dans tout le canton, qu’il en résulta de nombreux procès, dont quelques-uns se plaident encore, se plaideront longtemps, se plaideront peut-être toujours. Presque tout le pays fut ruiné, plus que ruiné, bouleversé de fond en comble. Il semblait qu’une révolution sociale fût passée sur lui. Par suite de faux, par suite de manœuvres frauduleuses, comme on n’en avait pas encore vu jus-