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— Alors, signez.

Le paysan eut comme un grand froid au cœur, comme un tremblement de la voix, de la main, des paupières, des jambes. Il sentait bien que mettre son nom ou la croix de Notre Seigneur sur du papier timbré, au bas d’un acte qui engage et sur quoi on ne pourra plus revenir, c’était l’événement le plus grave qui pût lui arriver dans la vie… Il prit la plume… ce n’est pas assez dire… il se jeta sur la plume que lui tendait le notaire… Et il signa… Il signa en haut, en bas, parapha à droite, reparapha à gauche et resigna, intersigna, contresigna avec une sorte d’acharnement sauvage… Il fallut lui arracher la plume des mains, il fallut lui arracher des doigts la minute de la quittance, car il eût signé toute la journée.

Il eût signé l’abandon de son champ, le don de sa vache, de sa récolte, de sa maison, l’empiétement des bornages sur ses terres ; il eût signé son dépouillement en faveur du voisin, ou des pauvres, il eût signé sa ruine totale… sa mort !

Il était très pâle. Quand il eut fini de signer, il dit au notaire, qui lui faisait toujours remarquer la gravité de ce qu’il venait de faire.

— J’ai compris… j’ai bien compris, allez !… Et quand même… Je sais ben que vous ne voudriez pas me foutre dedans…