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l’impassible Pouillaud. Tous comptes faits, il avait décidé que mieux valait continuer à frelater son lait et subir ces condamnations périodiques plutôt que de se résigner à d’insignifiants bénéfices en ne le frelatant plus. Pouillaud, qui avait des notions très saines, très pratiques sur la vie, avait fini d’ailleurs par considérer ces amendes comme une dépense nécessaire de publicité. Observez, à sa décharge, que ces incidents judiciaires ne l’atteignaient nullement dans sa réputation établie d’honnête homme et d’habile trafiquant. Après chaque jugement, on disait :

— Enfin… quoi ?… c’est du commerce… Si on ne peut plus faire de commerce, maintenant !…

Pouillaud fut fort regretté, car un homme riche est toujours un ornement pour un pays. Il eut de magnifiques obsèques. On fit venir de Cortoise, pour le conduire au cimetière, un char de première classe, orné de draperies brodées et de plumets blancs. Et, bien qu’il n’eût jamais rien donné, dans sa vie, à quiconque et pour quoi que ce fût, on le pleura… Entendez ce verbe, je vous prie, dans son sens imagé.

Aujourd’hui, retirée des affaires, sa veuve élevait des cobayes pour son plaisir, non pour le leur, car elle les vendait à l’institut Pasteur… Elle les élevait pour s’occuper, disait-elle, et aussi, par la même occasion, pour en tirer quelques menus