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Mme Irma Pouillaud, ce n’était pas uniquement sa baignoire, c’était sa richesse : quinze mille francs de rentes, qui ne faisaient que s’arrondir chaque année.

C’est que feu Pouillaud avait mis son commerce sur un bon pied. Moyennant de durs traités avec les paysans, il accaparait tout le lait de la région, le transformait mécaniquement en on ne savait quel breuvage à l’usage des crémeries parisiennes, de quelques hôpitaux, de quelques crèches, de quelques sociétés d’assistance maternelle. Il prélevait d’abord toute la crème, qu’il vendait à part, additionnait d’eau, d’eau de mare, le liquide déjà dépouillé de toutes ses vertus, y mêlait de la craie, un peu de cervelle de mouton, un peu de matière buthyrique. Et, avec ce qui tombait dans les cuves de sa tuberculose, cela faisait du lait. Il gagnait à ces ingénieuses pratiques cent pour cent, davantage peut-être.

On a beau être populaire et respecté, on est toujours, quand on réussit, jalousé par quelqu’un. Grâce à des dénonciations anonymes, mais précises, tous les ans, après analyse de son lait, cet habile commerçant était condamné par le tribunal correctionnel de Cortoise à des amendes variant entre cent et cinq cents francs. Même, la dernière fois, les juges crurent devoir ajouter cinq jours de prison avec sursis. Cela ne troublait en rien