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l’implacable soleil. Je vois de nombreux escadrons de fourmis traverser la chaussée, se hâter vers des razzias et des massacres.

À quelques pas devant nous, un petit homme déjà vieux, et qui boite, la poitrine sanglée d’une bricole de cuir, un mouchoir bleu lui couvrant la nuque, traîne péniblement une charrette à bras chargée d’une vieille malle, d’un bois de lit, d’un matelas, toute sa richesse sans doute. La misère l’a chassé de quelque part et il va quelque part, comme tout le monde, vers une autre misère… Nous le dépassons.

— Bon Dieu ! souffle-t-il, sans se tourner vers moi… Bon Dieu, qu’il fait chaud !

Il s’arrête un moment, pour reprendre haleine et il essuie du revers de sa manche poussiéreuse son front ruisselant de sueur.

Dingo, lui aussi, s’est arrêté, les yeux fixés sur le petit homme qui continue de geindre. Il semble réfléchir profondément. Et, peu à peu, il oublie son essoufflement, ne sent plus sa fatigue. Il se redresse, les oreilles hautes, sa queue bat, époussette l’air par mouvements précipités. Puis, gravement, il vient près de l’homme, se range tout contre l’homme, de façon que ses flancs touchent les jambes du pauvre diable. Il a l’air de lui dire :

— Fais-moi un peu de place que je t’aide…