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envers lui. Avec une délicate indulgence, un esprit de justice ignoré des hommes, il tenait grand compte de mes intentions, n’eussent-elles abouti à rien qui lui plût ou qu’il désirât, eussent-elles avorté le plus misérablement du monde. Oui, je le crois, mais je n’en sais rien, car on ne sait jamais rien. Le crime, l’impardonnable crime des amitiés humaines, c’est, par l’habitude douloureuse que nous en avons, qu’elles nous font aussi douter du désintéressement des chiens.

Mais, qu’ai-je à rechercher plus longtemps le pourquoi de son amitié, de nos amitiés, de l’amitié ? Dingo m’aimait parce qu’il m’aimait, parce que c’était sa destinée de m’aimer… Moi ou un autre, qu’importe, pourvu qu’il aimât quelqu’un… Voilà tout.

Il aimait surtout ma femme. Les femmes ont pour les bêtes des caresses plus douces, des prévenances plus intelligentes, des soins plus spontanés, plus ingénieux, plus précis que les nôtres. Plus près que nous de l’animal — je le proclame à leur gloire — communiant plus étroitement avec la nature, elles en devinent, elles en ressentent mieux que nous les besoins secrets et, de même que la nature, elles sont tourmentées par l’incessant, par l’immense, par le nécessaire désir de créer toujours et de toujours détruire… Créa-