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toute la journée tu dors sur de la plume et sur de la soie, dans des niches d’acajou… tandis que nous autres, sous la pluie, dans le vent, et dans le froid, nous veillons sur le bien du maître ?

Dingo crut flairer l’envie, cette basse envie démocratique des âmes inférieures, qui, pour n’avoir pu se hausser aux joies de la richesse, aux voluptés du luxe, prétendent les mépriser et se donnent ainsi facilement des airs de renoncement, des semblants de vertu. Il s’emporta :

— Eh bien, moi, je ne suis pas un gardien de prison… Je n’appartiens à personne, moi… Ce sont les autres… ce sont mes maîtres qui m’appartiennent… Regardez-moi donc un peu… Est-ce que j’ai laissé couper ma queue et mutiler mes oreilles, à l’exemple de ces valets d’antichambre qui se rasent les moustaches, afin de mieux étaler devant tout le monde leur état de servitude ?

Sûrs de leur supériorité morale, les Bas-Rouges ne s’offensèrent pas de cette attaque emphatique et injuste. Ils redemandèrent encore à Dingo :

— Tout cela est très bien… Mais qu’est-ce que tu fais ?…

Dingo hérissa son poil… Un feu sombre brilla dans ses yeux…

— Quand je serai tout à fait grand, menaça-t-il, vous verrez ce que je ferai… Vous entendrez parler de moi, je vous en réponds, gros lourdauds…