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ments, réfractaires à toute fantaisie. Lourdement, mais sans bassesse, ils s’enorgueillissaient d’être des fonctionnaires, des gardiens sévères de l’ordre établi. N’admettant que le principe d’autorité, observant strictement l’exactitude, la consigne, la tempérance, hormis dans les choses de l’amour, ils ne pouvaient rien comprendre à Dingo, qui, sous sa grâce brillante et hardie, était pur encore et cachait, sous l’apparence d’une élégante frivolité, d’ardentes passions individualistes, d’énergiques vouloirs, des combativités généreuses — car il est bien entendu, n’est-ce pas ?… que toutes les combativités sont généreuses. Pieusement, jalousement, les Bas-Rouges gardaient, comme un dépôt sacré et comme l’honneur même de leur race, cette hérédité de bêtes soumises et façonnées à l’homme par de longs servages, tandis que Dingo, brisant la mince couche de civilisation sous laquelle j’avais tenté de comprimer ses élans, semblait retrouver de jour en jour plus fougueuse, plus déchaînée, cette violence d’indépendance, dont des siècles de liberté, loin de l’homme et de ses lois, en pleine nature sauvage, avaient en quelque sorte pétri sa chair et fait bouillonner son sang.

Pourtant, avant de constater définitivement leur antipathie réciproque, je suppose qu’une dernière conversation s’engagea un soir entre les