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scandaleuses — qui, d’ailleurs, ne scandalisaient personne — en interdisant désormais toute sortie à sa mère.

De deux mois, on ne la revit plus au village. De deux mois aucun bruit de voix, aucun cri ne parvint plus du mystérieux grenier dans la rue.

Quand, étonné de ce brusque silence, on demandait des nouvelles :

— Elle va bien, renseignait Jaulin… Elle profite bien !

Et c’était vrai… Phénomène inexplicable. Au lieu de dépérir rapidement à ce régime de famine, de terreur, de constante dépression morale, la recluse engraissait… Elle engraissait comme une poularde gavée. Chaque jour, la bru constatait avec stupéfaction que le visage perdait peu à peu ses tons terreux, remplacés par une sorte de pâleur rose, comme en ont les plantes qui poussent dans l’obscurité des caves. Et non seulement elle engraissait, elle rajeunissait.

Le cabaretier n’en revenait pas. Souvent, il demandait à sa femme :

— Enfin… c’est pas naturel… Quelqu’un lui donne donc à manger ?

— Non, bien sûr… ripostait celle-ci. Qui veux-tu qui lui donne à manger ?… Mais elle a le diable dans le corps. Ah ! tu verras !… tu verras !…