Page:O'Leary - Le roman canadien-français, 1954.djvu/159

Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
LE ROMAN DE L'HOMME

Mais ce métier d’homme exige, chez ceux qui veulent l’exercer, une dose de stoïcisme qui ne s’acquiert que dans la souffrance et l’abdication de son moi. Dubois ne se décidera lui aussi à devenir un homme dans toute l’acception du terme qu’après avoir été frappé au cœur. Ce n’était en somme qu’un pauvre type, lancé dans la vie sur une erreur d’aiguillage ; il piétinait. La poussière qui imprégnait la ville imprégnait aussi son être moral ; il demeurait dans l’impossibilité de voir clair en lui : la poussière lui collait aux yeux, à la langue, elle l’avait pénétré partout. Sa femme, il ne la voyait aussi qu’à travers cette poussière obsédante qui embuait ses facultés mentales bien plus que le whisky dans lequel il cherchait l’évasion.

Sa femme ? Une détraquée ? Une désaxée certainement, ballottée en tous sens par les remous de la vie, une sensitive et une sensuelle (dans le sens étymologique du mot) à la recherche de sensations sans cesse renouvelées. En résumé, deux êtres au bonheur impossible. On ne conçoit pas, d’ailleurs, comment Madeleine aurait pu être heureuse ; elle portait son malheur en elle, rivé à son être. Les êtres comme Madeleine Dubois nous semblent le résultat d’un atavisme lourd et complexe dont il est impossible de saisir les détails ;