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HENRI DE KLEIST

servit qu’à leur montrer à tous deux leurs souffrances plus amères. Ils s’aimaient ; un divorce pouvait rompre les liens de Mme Vogel et l’attacher à lui ; mais toujours cette maladie, sous le poids de laquelle son existence devait se traîner péniblement, devint un nouveau mur de séparation entre eux. Ainsi le sort avait tout fait pour que Kleist se fatiguât vainement à chercher un bien qu’il pressentait sans pouvoir le trouver, et pour que ce bien lui fût ravi aussitôt qu’il viendrait à le rencontrer.

Quant au mari, il laissait paisiblement cette liaison se nouer et prendre chaque jour de nouvelles racines. Il ne se souciait peut-être guères de la fidélité de sa femme, ou, ce que l’on peut donner comme une chose plus sûre, il avait de bonnes garanties pour croire à sa fidélité dans le sens où l’on prend d’ordinaire ce mot.

Les deux amans s’exaltaient l’un l’autre, et cette exaltation n’aidait nullement à leur donner plus de courage. Leur amour, d’une nature toute platonique, entretenait leurs rêves passionnés, et n’en reportait la réalisation que dans un autre monde. Ainsi cette vie leur semblait désormais dénuée de tout charme, de tout bonheur, et la mort n’était pour eux que la porte qui devait leur ouvrir l’entrée d’une vie meilleure.

Un jour Mme Vogel dit à H. Kleist : J’ai un service à vous demander, promettez-moi de me le rendre.

— Demandez, dit Kleist, je promets tout.

— Eh bien ! c’est que vous me tuiez dès que je le désirerai.

Et Kleist répondit : Je le veux bien, car je me tuerai après.

Cette résolution prise, un scrupule que l’on trouvera sans doute minutieux, mais qui existait pourtant, arrêtait encore Mme Vogel : c’était de savoir comment son mari supporterait sa perte.

Kleist se chargea de sonder son mari, et cdui-ci lui donna