Page:Nordau - Dégénérescence, tome 1.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
ÉTIOLOGIE

l’épopée impériale, il se trouva particulièrement mal préparé à l’assaut des grandes découvertes du siècle, et en fut plus fortement secoué que les autres peuples plus robustes et plus capables de résistance. Sur ce peuple aux nerfs affaiblis et prédestiné aux troubles morbides fondit ensuite l’épouvantable catastrophe de 1870. Il s’était cru, avec une satisfaction de lui-même touchant presque à la folie des grandeurs, le premier peuple du monde, et il se vit soudain humilié et écrasé. Toutes ses convictions s’écroulèrent brusquement. Chaque Français individuellement subit des revers de fortune, perdit des membres de sa famille, et se sentit personnellement atteint dans ses conceptions les plus chères, voire même dans son honneur. Le peuple tout entier tomba dans l’état d’un homme qu’un coup écrasant de la destinée frappe soudainement dans ses biens, sa situation, sa famille, sa considération, son estime de lui-même. Des milliers de gens perdirent la raison. On observa même dans Paris une véritable épidémie de maladies mentales, pour lesquelles on trouva un nom spécial : la folie obsidionale. Et ceux-là même qui ne perdirent pas directement la raison, virent leur système nerveux s’altérer d’une manière durable. Cela explique qu’en France l’hystérie et la neurasthénie soient si fréquentes et apparaissent sous des formes si variées, et qu’on ait pu les étudier dans ce pays plus exactement que partout ailleurs. Mais cela explique aussi que c’est précisément en France que devaient prendre naissance les modes les plus délirantes en art et en littérature, et que là précisément on eut pour la première fois suffisamment conscience de l’épuisement maladif dont nous avons parlé,