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FIN DE SIÈCLE

au contraire, la vapeur et l’électricité ont mis sens dessus dessous les habitudes d’existence de chaque membre des peuples civilisés, même du petit bourgeois le plus obtus et le plus borné, qui était complètement inaccessible aux pensées motrices du temps.

Dans une conférence exceptionnellement remarquable faite par le professeur A. W. de Hofmann au Congrès des naturalistes allemands de Brême en 1890, celui-ci donna, en terminant, une courte description de la vie d’un habitant de ville en 1822. Il nous montre un naturaliste qui arrive alors en poste de Brême à Leipzig. Le voyage a duré quatre jours et quatre nuits, et le voyageur est naturellement moulu. Ses amis le reçoivent et il voudrait un peu se rafraîchir ; mais il n’y a pas encore à Leipzig de bière de Munich. Après être resté un moment avec ses collègues, il va à la recherche de son auberge. Ce n’est pas chose facile, car dans les rues règne une obscurité égyptienne, interrompue seulement à de lointaines distances par la flamme fumeuse d’une lampe à l’huile. Il trouve enfin son logis et voudrait voir clair. Comme les allumettes n’existent pas encore, il en est réduit à se contusionner le bout des doigts avec le briquet à pierre, jusqu’à ce qu’il parvienne enfin à allumer une chandelle. Il attend une lettre, mais celle-ci n’est pas arrivée, et il ne peut maintenant la recevoir que dans quelques jours, car la poste ne fonctionne que deux fois par semaine entre Francfort et Leipzig [1]

  1. Voir, outre la conférence de Hofmann, l’excellent livre (en allemand) du Dr Otto Bähr : Une ville allemande il y a soixante ans, 2e édition, Leipzig, 1891.