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DIAGNOSTIC

Or, le rouge est remarquablement dynamogène. « Ainsi », rapporte Binet, en décrivant une expérience tentée sur une hystérique atteinte d’insensibilité d’une moitié du corps, « nous mettons dans la main droite, anesthétique, d’Amélie Cle… un dynamomètre… La main donne en moyenne le chiffre 12. Si on fait contempler à ce moment à la malade un disque rouge, aussitôt le chiffre de la pression inconsciente… double [1]… ». On comprend donc que des peintres hystériques se plongent à cœur-joie dans le rouge, et que des spectateurs hystériques éprouvent un plaisir particulier à la vue de tableaux qui agissent sur eux d’une façon dynamogène et éveillent en eux des sensations agréables.

Si le rouge est dynamogène, le violet, au contraire, est inhibant et dépressif [2] Ce n’est point par hasard que le violet a été choisi par maints peuples comme couleur exclusive de deuil, et par nous comme couleur de demi-deuil. La vue de cette couleur exerce une action déprimante, et le sentiment de déplaisir qu’elle éveille répond à l’abattement d’une âme en deuil. Il est compréhensible que des hystériques et des neurasthéniques peignants auront une tendance à répandre en quelque sorte sur leurs tableaux une couleur répondant à leur état de fatigue et d’épuisement.

Ainsi naissent les peintures violettes de Manet et de son école, qui ne découlent pas d’un aspect réellement obser-

  1. Alfred Binet, loc. cit., p. 150.
  2. Ch. Féré, Sensation et Mouvement. Revue philosophique, 1886. Voir aussi du même auteur : Sensation et Mouvement, Paris, 1887 ; Dégénérescence et Criminalité, Paris, 1888 ; et L’Énergie et la Vitesse des mouvements volontaires. Revue philosophique, 1890.