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FIN DE SIÈCLE

vera rien de choquant à des tableaux dyschromatiques. Mais si, à côté du lait de chaux d’un Puvis de Chavannes éteignant uniformément les couleurs, le jaune, le bleu et le rouge hurlants d’un Besnard trouvent aussi des fanatiques, cela tient également à une cause que la clinique nous dévoile. « Le jaune et le bleu, couleurs périphériques, c’est-à-dire perçues par le bord extrême de la rétine », nous enseigne Gilles de la Tourette, « continueront à être perçus jusqu’à la dernière limite. Ce sont, en effet… les deux couleurs dont la sensation dans l’amblyopie hystérique se conserve le plus longtemps. Mais… chez certains malades, fréquemment même, c’est le rouge et non le bleu qui disparaît le dernier [1] ».

Le rouge offre encore une autre particularité, qui explique la grande prédilection des hystériques pour lui. Les expériences ont établi que les impressions amenées au cerveau par les nerfs sensitifs exercent une influence considérable sur la nature et l’intensité des impulsions que celui-ci envoie aux nerfs moteurs [2]. Certaines sensations ont une action dépressive et inhibitive sur les mouvements ; d’autres, au contraire, rendent ceux-ci plus vigoureux, plus rapides et plus intenses : elles sont dynamogènes ou productrices de force. Or, comme à la dynamogénie ou production de force est toujours attaché un sentiment de plaisir, chaque être vivant éprouve le besoin de chercher des sensations dynamogènes et d’éviter les sensations inhibitives et dépressives.

  1. Traité clinique et thérapeutique de l’hystérie, p. 339.
  2. Alfred Binet, Recherches sur les altérations de la conscience chez les hystériques. Revue philosophique, 1889, 27e volume.