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FIN DE SIÈCLE

crée pour lui le nom « d’oniomanie », ou folie d’acheter.

On ne doit pas le confondre avec le plaisir d’acheter, propre aux malades dans le premier stade de la paralysie générale. Les achats de ces derniers sont une conséquence de leur manie des grandeurs : ils font de grandes acquisitions, parce qu’ils se croient millionnaires ou milliardaires. L’oniomane, au contraire, n’achète pas de masses considérables d’un seul et même objet, comme le paralytique général, et le prix ne lui est pas indifférent, comme à celui-ci. Il ne peut simplement passer devant une pacotille, sans ressentir le besoin de l’acquérir.

La manière singulière de certains peintres, impressionnistes, pointillistes ou mosaïstes, trembleurs ou papilloteurs, coloristes rugissants, teinturiers en gris ou en blafard, nous deviendra immédiatement compréhensible, si nous avons présentes à l’esprit les recherches de l’école de Charcot sur les troubles visuels des dégénérés et des hystériques. Les peintres qui assurent qu’ils sont sincères et rendent la nature telle qu’ils la voient, disent souvent la vérité. Le dégénéré qui souffre de nystagmus, ou tremblement du globe oculaire, percevra, en effet, le monde comme quelque chose de trémulant, d’instable, sans contours fermes, et s’il est un peintre consciencieux, il nous fournira des tableaux qui rappelleront la manière dont les dessinateurs des Fliegende Blætter de Munich représentent un chien mouillé qui se secoue vigoureusement, et qui n’éveilleront pas une idée comique uniquement parce que l’observateur attentif y lira l’effort désespéré pour rendre pleinement une impression qui, avec