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FIN DE SIÈCLE

l'imitation[1] et l'empressement avec lequel il suit toutes les inspirations des écrivains et des artistes [2]. Quand il voit un tableau, il veut ressembler aux personnages par l’attitude et le costume ; s’il lit un livre, il s’en approprie aveuglément les idées ; il prend pour modèles les héros des romans qu’il a justement en main, et s’identifie avec le caractère des personnes qui s’agitent devant lui sur la scène.

A l’émotivité et à la suggestibilité s’ajoute un amour de soi-même que l’on n’observe jamais en pareille mesure, il s’en faut même de beaucoup, chez les gens sains. Son propre « moi » apparaît gigantesque à l’œil intérieur de l’hystérique et emplit si complètement son horizon intellectuel, qu’il lui cache tout le reste de l’univers. Il ne supporte pas non plus l’inattention des autres. Il veut avoir autant d’importance pour autrui qu’il en a pour lui-même. « Un besoin incessant poursuit et domine l’hystérique, celui d’occuper son entourage de sa personne [3] ». Un moyen de satisfaire ce besoin est d’imaginer des histoires qui le rendent intéressant. De là les aventures extraordinaires qui occupent fréquemment la police et les faits divers des journaux. L’hystérique est assailli dans la rue la plus passante par des hommes inconnus, dépouillé, maltraité, blessé, traîné dans un quartier éloigné et laissé pour mort. Il se relève péniblement et porte plainte à la police. Il peut montrer sur son corps les blessures reçues. Il précise tous les détails. Et il n’y a pas dans l’histoire un seul mot de vrai, tout a été rêvé et imaginé,

  1. Henri Colin, op. cit., p. 15 et 16.
  2. Gilles de la Tourelle, op. cit., p. 493.
  3. id. ibid.'', p. 303.