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DIAGNOSTIC

tion, dépourvu de volonté, qui ne soupçonne pas que son incapacité d’agir est une conséquence de ses tares cérébrales héréditaires, se fait accroire que c’est par libre détermination qu’il méprise l’action et se complaît dans l’inactivité ; et pour se justifier à ses propres yeux, il se construit une philosophie de renonciation, d’éloignement du monde et de mépris des hommes, prétend qu’il s’est convaincu de l’excellence du quiétisme, se qualifie avec orgueil de bouddhiste et célèbre, en tournures poétiquement éloquentes, le nirvana comme le plus haut et le plus digne idéal de l’esprit humain. Les dégénérés et les aliénés sont le public prédestiné de Schopenhauer et de Edouard de Hartmann, et il leur suffit de connaître le bouddhisme pour y être convertis.

A l’incapacité d’agir se rattache l’amour de la rêverie creuse. Le dégénéré n’est pas capable de diriger longuement ou même un instant son attention sur un point, pas plus que de saisir nettement, d’ordonner, d’élaborer en aperceptions et jugements les impressions du monde extérieur que ses sens fonctionnant défectueusement portent à sa conscience distraite. Il lui est facile et plus commode de laisser produire à ses centres cérébraux des images demiclaires, nébuleusement fluides, des embryons de pensées à peine formés, de se plonger dans la perpétuelle ébriété de phantasmes à perte de vue, sans but ni rive, et il n’a presque jamais la force d’inhiber les associations d’idées et les successions d’images capricieuses, en règle générale purement automatiques, ni d’introduire de la discipline dans le tumulte confus de ses aperceptions fuyantes. Au contraire. Il se réjouit de son imagination, qu’il oppose au-