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SYMPTÔMES

chaque coupure, chaque acte, chaque scène, de quelque nom qu’on veuille nommer la chose, domine une autre voyelle ; à chacune, le théâtre est illuminé d’une lumière différente ; à chacune, l’orchestre joue un morceau d’un autre mode, et le vaporisateur envoie un autre parfum. L’idée de cet accompagnement du vers par le parfum a été lancée à demi plaisamment par Ernest Eckstein voilà quelques années ; on l’a réalisée à Paris avec un sérieux religieux. Les novateurs vont prendre dans la chambre des enfants le théâtre de marionnettes pour y jouer, en vue des adultes, des pièces qui, dans une note artificiellement naïve, révèlent ou cachent un sens prétendument profond, et y faire défiler les ombres chinoises qu’ils perfectionnent avec beaucoup de talent et d’ingéniosité ; des figures gentiment dessinées et coloriées se meuvent sur des fonds à surprises lumineuses, et ces tableaux animés rendent visible le cours des idées d’une poésie dite à cette occasion par l’auteur, et dont un piano cherche aussi à rendre sensible à l’oreille le sentiment fondamental. Et pour jouir de ces exhibitions, la société se presse dans un cirque de faubourg, dans le grenier d’une maison sur la cour, dans une boutique de fripier ou une taverne fantastique, dont les représentations réunissent, dans une salle commune où l’on boit de la bière, les habitués crasseux avec des marquises éthérées.