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FIN DE SIÈCLE

tapissés de gobelins vermoulus dont un soleil de deux siècles, ou peut-être simplement un savant bain chimique, a mangé les couleurs, ou de papiers de Morris sur lesquels des oiseaux exotiques passent légèrement dans le branchage follement entrelacé, et où de grandes fleurs lascives coquettent avec des papillons vaniteux. Entre les fauteuils et les poufs, tels que nos contemporains amollis les connaissent et les exigent, sont des sièges renaissance dont le fond de bois, en forme de coquillage ou de cœur, solliciterait tout au plus le verso endurci de rudes héros de tournois. Une chaise à porteurs dorée et peinte surprend entre des armoires de Boule, et une petite table chinoise biscornue à côté d’un secrétaire de dame incrusté, d’un rococo gracieux. Sur toutes les tables et dans toutes les vitrines sont exposées des antiquités petites et grandes, généralement d’une inauthenticité garantie, ou des produits des arts secondaires : une figurine de Tanagra à côté d’une boîte en jade ajourée, une plaque de Limoges près d’une aiguière de cuivre persane à long cou, une bonbonnière entre un livre de messe à couverture d’ivoire découpé et des mouchettes de cuivre ciselé. Sur des chevalets drapés de velours sont des tableaux dont le cadre cherche, par une étrangeté quelconque : une araignée dans sa toile, un bouquet de chardon en métal, etc., à attirer indiscrètement le regard. Dans un angle est élevé une sorte de temple à un Bouddha accroupi ou debout. Le boudoir de la maîtresse de maison tient de la chapelle et du harem. La table de toilette est conçue et décorée en manière d’autel, un prie-Dieu garantit la piété de l’habitante de la chambre, et un large divan aux coussins ravagés semble rassurer sur