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LE MYSTICISME

façonne et l’épuise. L’homme sain peut raconter ce qu’il pense, et son récit a un commencement et une fin. L’imbécile mystique, au contraire, pense uniquement d’après les lois mécaniques de l’association d’idées, sans attention à un fil conducteur. Il a une fuite d’idées. Il ne peut jamais indiquer exactement à quoi il pense, il ne peut que désigner l’émotion qui domine momentanément sa conscience. Il ne peut que dire en général : « Je suis triste », « je suis gai », « je suis tendre », « j’ai peur ». Sa pensée est emplie d’aperceptions nuageuses fuyantes et flottantes qui reçoivent leur coloris de l’émotion régnante, de même que la fumée, au-dessus d’un cratère, revêt la rutilance de la flamme qui bouillonne au fond de l’abîme volcanique. S’il compose des poésies, il ne déroulera donc jamais une suite logique d’idées, mais cherchera à représenter, par des mots obscurs d’un coloris émotionnel déterminé, une émotion, une « disposition d’esprit ». Aussi ce qu’il apprécie dans les œuvres poétiques, ce n’est pas un récit clair, l’exposé d’une idée déterminée, mais seulement le reflet d’une disposition d’esprit qui en éveille aussi en lui une autre, pas nécessairement la même. Les dégénérés sentent très bien cette différence entre une œuvre qui exprime un travail vigoureux de pensée et une autre où flotte simplement une fuite d’idées à teinte émotionnelle, et ils cherchent instinctivement une expression distinctive pour le genre de poésie dont seuls ils ont la compréhension. En France, ils ont donc trouvé pour lui le mot symbolisme. Si dénuées de sens que semblent les explications données par les symbolistes eux-mêmes de leur mot d’ordre, le psychologue distingue néanmoins nettement dans leur bal-